Question difficile pour un ex-banquier.
A titre personnel, mon rapport à l’investissement a beaucoup évolué. Lorsque j’ai démarré ma carrière de banquier privé à 22 ans et que j’ai commencé à conseiller de grandes fortunes, j’avais un salaire de 30K€, un petit studio versaillais et un prêt étudiant à rembourser.
Un grand écart certes mais qui ne nourrissait aucun ressentiment. Au contraire.
Jérôme Kerviel était devenu célèbre, les valeurs bancaires avaient dévissé de 50%. J’appelais tous mes clients pour leur dire que c’était le moment d’investir. Peu m’écoutaient ! J’étais convaincu par le discours que je répétais… si bien que je me suis mis à placer mes premiers salaires en bourse. Ainsi, chaque mois j’achetais des valeurs bancaires sur mon PEA, essentiellement Société Générale et BNP Paribas.
Un trader en herbe !
Mes positions ont pris de la valeur de mois en mois. Je commençais à me créer un patrimoine, je prenais conscience de la force de l’épargne… Porté par ma jeunesse, je jurais que jamais je n’investirais dans l’immobilier et que la vie, la vraie, était dans l’investissement spéculatif…
Forcément je trouverais d'autres aberrations de marché sur lesquelles j'investirais massivement.
Je pourrais remplir un cimetière avec ces certitudes qui étaient les miennes, et que j’ai laissées sur le bas-côté en avançant…
Ainsi, les années ont passé et un jour, c’est devenu évident pour moi qu’acheter un bien immobilier faisait partie de la construction d’une vie de couple. J’ai vendu mes actions bancaires qui étaient sur-représentées dans mon patrimoine, encaissé ma (belle) plus value, et à deux, nous avons investi dans notre premier bien immobilier locatif dans une ville que nous connaissions: Rennes.
J’avais retenu toutes les leçons de mes clients. Les 3 règles de l’immobilier ? L’emplacement, l’emplacement et l’emplacement.
Nous avions donc jeté notre dévolu sur un appartement dans un quartier résidentiel de Rennes, près des grandes écoles.
Des gros travaux à effectuer, un déficit foncier pour payer moins d’impôts… Il n’y a pas à dire, j’étais bon élève…
Tout devait bien se passer, et pourtant, il ne m’a pas fallu 6 mois pour regretter mon PEA…
“Monsieur Jarry, la douche est bouchée, vous pouvez intervenir ?”, “Le bruit dans la cage d’escalier est insupportable, soit ça change, soit je pars”. “Vous n’étiez pas là pour l’AG, mais on va refaire la façade arrière de l’immeuble”.
Comme un signe, cet appartement situé rue de Paris nous demandait une attention forte, alors que nous étions à Paris…
Au bout de 4 ans, j’étais au bout de ce que je pouvais supporter. On a vendu l’appartement. Sans perdre d’argent, sans en gagner.
La logique aurait voulu que ça s’arrête là et pourtant, derrière, j’ai acheté 3 autres biens. Notamment des résidences principales… En réalisant de belles plus values, et de belles pertes.
Si je tire le bilan de mon parcours d’investisseur immobilier sur 20 ans ?
Je n’ai pas perdu d’argent, j’en ai probablement gagné un peu, mais à quel prix ? Combien d’allers-retours en TGV ? Combien de temps passé au téléphone pour régler des problèmes insignifiants ? Combien de frais pour détériorer la rentabilité locative ?
Les vraies questions que je me pose sont : Pourquoi ai-je tant insisté ? D’où vient ce rapport à la pierre ? Pourquoi en tant que financier, je n’ai pas appliqué avant ce que je conseillais aux autres ?
Je n’ai jamais franchi la porte, mais il y a probablement un peu de thérapies à faire derrière tout ça ! |
Après, ce qui est rassurant (!), c’est que je ne suis pas le seul à avoir ces travers. Les français aiment l’immobilier, même si ce dernier peut leur coûter cher…
J’ai vécu une situation il y a peu, où je me suis dit que je tenais la thématique de ma prochaine newsletter !”.
J'étais dans le Sud, chez un investisseur. Une jolie maison qu’il avait construite, vue mer, terrasse avec piscine… Une valeur selon ses dires de 4 millions.
Il me fait faire le tour des lieux, je le complimente sur l’aménagement intérieur, la décoration. Une belle maison avec beaucoup de charme. On s’installe sur sa terrasse, on échange sur l’investissement. Il se lève, va chercher son ordinateur et revient en me disant :
- Regarde cette maison, c’est mon rêve. Elle a tout : le quartier dont je rêve, une vue mer qui n’a rien à voir avec la mienne, une vraie salle à manger pour 20 personnes, une piscine canon…
- Elle vaut combien ?
- Elle n’est pas à vendre, mais à louer. 20.000 euros par mois
Même si je ne suis plus banquier depuis 6 ans, mes réflexes sont toujours là. Je prends ma calculette : “ S’il vend sa maison 4 millions d’euros, et qu’il investit en cherchant une rentabilité à 8% ça fait 320.000 euros d’intérêts par an. Face à un loyer annuel de 240.000 euros.”
- Attends, si tu vends ta maison 4 millions et que tu investis avec cet objectif de rendement de 8%, tu peux même être gagnant par rapport aux loyers à payer… Et je te parle même pas des frais d’agence, des frais de notaire que tu économises par rapport à une acquisition…
- Oui mais Matthieu, je ne serai plus propriétaire, ça change tout…
Alors je lui ai expliqué modestement mes 4 biens immobiliers acquis, et ma conviction aujourd’hui que c’était une erreur.
Bien entendu on partait de loin car lui s’était construit grâce à l’immobilier, et ça lui paraissait inconcevable de ne pas être propriétaire de sa résidence principale.
Pourtant quand on a enlevé l'émotionnel et qu’on a commencé à faire les calculs, mon schéma présentait de nombreux avantages par rapport à sa situation :
=> Il ne supportait plus de payer l’IFI, cet impôt qu’il considérait comme confiscatoire. En devenant locataire et en vendant son bien, ce prélèvement allait lui aussi disparaître.
=> Il avait déjà réalisé de nombreuses donations à ses enfants et partait du principe que la transmission était faîte. A côté de ça, lui n’avait pas assez de revenus pour faire face à son train de vie.. Récupérer un capital présentait donc de nombreux avantages
=> Son patrimoine de jouissance, avec sa maison secondaire, représentait 80% de son patrimoine global, ce qui était disproportionné. En posant cette rentabilité de 8% sur son patrimoine, il comprenait enfin les revenus annuels qui lui manquaient, et se disait que s’il ne réagissait pas, il n’était pas impossible qu’il soit obligé de tout vendre et que la probabilité qu’il ne reste rien à son décès était réelle
- Mais Matthieu, tu as vu les marchés ? Tu as vu ce qui s’est passé avec Trump ? On n’est pas à l’abri d’une nouvelle crise, de corrections fortes, durables.
- J’entends. Mais est-ce que tu es sûr qu’en cas de crise majeure, ton bien vaudra toujours 4 millions ? Est-ce que le marché immobilier ne doit-il pas lui aussi corriger ?
On a continué à échanger pendant 2 heures. On a parlé d’investissements startups, d’opportunités d’investissements court terme. Je lui ai parlé de ma newsletter sur “Faut-il devenir une personne morale ?”
- Je ne sais pas si je suis capable de devenir locataire. Je ne sais pas ce que vont dire ma femme et mon fils…Et même nos amis…Ils vont tous croire que je n’ai plus d’argent…
- J’ai pas de leçons à te donner…Il m’a fallu acheter 4 biens immobiliers pour comprendre et accepter de sortir du système…Et parfois je ne suis qu'à un pas de replonger
- Ne me dis pas que tu as d’autres théories comme celle-ci sur la vie
- J’en ai plein d’autres…Mais je les garde pour notre prochain déjeuner, quand tu m’inviteras dans ta maison en location !!!
Une anecdote que je voulais vous raconter car elle témoigne selon moi d’une question qu’il faut accepter de se poser quand on achète un bien : combien ce bien vaut-il à la location ?
Et du coup derrière, est-ce que ce montant peut-être compensé par les revenus de mes placements financiers non déployés dans l’immobilier ?
Si la réponse est “oui, incontestablement”, il est urgent, dans un contexte de hausse du marché depuis 20 ans, de ne pas acheter ou au moins de se poser la question… Même si ça va à l’encontre de notre éducation, de nos croyances, du système…
J'ai cette intime conviction que la liberté n’est pas dans la propriété mais bien dans la capacité à pouvoir changer son mode de vie en fonction de ses envies, de ses besoins, de ses attentes…
Tout en continuant de regarder les annonces immobilières, et en rêvant d'une maison en bord de mer !
On n'est jamais à une contradiction près. |
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